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Articles

Joseph Conrad, Marc-Aurèle, la mère de Marcel Proust et... Rome finalement

Le 14 janvier 1898, Joseph Conrad écrit à son ami Robert Cunninghame Graham: ' La vie ne nous connaît pas et nous ne connaissons pas la vie - nous ne connaissons même pas nos propres pensées. La moitié des mots dont nous nous servons n'ont aucun sens, et de l'autre moitié chaque homme comprend chaque mot à la façon de sa folie et de sa vanité .' A l'intérieur, aussi bien qu'à l'extérieur - et sur toute la terre - la même incommunicabilité... Cette terrible absence d'illusion relative à l'essence même de son métier... Je trouve qu'elle donne encore plus de prix aux terribles efforts qu'en dépit de cette situation sans espoir, il a consentis pour mener à bien son oeuvre. Des mots magnifiques qui, dans mon esprit, immédiatement en appellent d'autres: ceux de Marc-Aurèle appris par coeur il y a bien longtemps: '" Dans la vie d'un homme, le temps qui lui est imparti n'est qu'un instant, son existence un flux...

A Rome, il n' y en a que pour Henryk Sienkiewicz

Entre le 17 et le 28 avril, j'ai passé presque deux semaines à Rome. Comme je venais à peine de commencer ce blog, j'avais pris mes précautions écrivant deux ou trois billets d'avance dont j'avais planifié la publication au long du séjour. Et puis, j'étais bien persuadé - une histoire de probabilité - que Conrad avait interféré d'une quelconque manière avec Rome: il avait dû y passer, s'y intéresser ou au moins en parler quelque part dans son oeuvre; ainsi j'avais bien pensé, avant de partir, que ce séjour me fournirait sans nul doute matière à quelques notations à son propos. Le premier jour, il était prévu, à partir du Trastevere où nous logions, un vaste mouvement d'encerclement qui, de l'est vers le nord de la ville, devait nous permettre d'inscrire à notre tableau de chasse une belle brochette d'églises romaines, parmi les plus belles: Santa Maria in Cosmedin avec la Bocca della Verita Saint Jean de Latran San Cleme...

Addendum à mon dernier message.

La citation que j'ai recopié pour mon dernier billet est trop belle pour que je la laisse sans plus de commentaires. ' Tout ce que je sais, c'est que, depuis vingt mois, négligeant les joies ordinaires de la vie, qui échoient aux plus humbles sur cette terre, je 'luttais avec le Seigneur', comme le prophète de jadis, pour réaliser ma création: les promontoires de la côte, les ténèbres du golfe Paisible, la lumière sur les neiges, les nuages au ciel et la vie qu'il fallait insuffler aux formes des hommes et des femmes, Latins et Saxons, Juifs et Gentils .'  (p946-947 des Souvenirs personnels de Joseph Conrad, tome 3 de la Pléïade) Il est en train de construire Nostromo. Il lui a fallu tout créer, tout bâtir de zéro. Pour faire Nostromo. La force cérébrale nécessaire. Terrible concentration. Pour insuffler suffisamment de vie dans tout ça. Ce qu'il faut s'efforcer pour rendre tout ça vivant, pour que des paysages, des créatures de mots ti...

La langue anglaise, la traduction et les préservatifs

Il y a quelque chose qui m'a toujours estomaqué chez Joseph Conrad. Il est devenu un écrivain majeur en langue anglaise, alors même que l'anglais n'était pas sa langue natale. C'est à mon sens un cas unique dans l'histoire de la littérature. On peut parler couramment une langue étrangère bien sûr, mais de là à en connaître toutes les subtilités – les plus intimes nuances - au point de pouvoir créer une oeuvre importante dans cette langue...  J'ai un ami qui refuse purement et simplement de lire du Conrad – de même d'ailleurs que tout écrivain de langue étrangère. Postulant un jour, pour les besoins de sa démonstration, que Faulkner, Gogol, Proust et Saint Simon étaient des écrivains de même valeur, il m'expliqua ne pouvoir s'imaginer goûter, dans une traduction des uns, un plaisir aussi intense que celui qu'il prend à la lecture des autres. ' Avec les traductions tu perds trop. L'écrivain est un manieur de mots, un bâtisseur qu...

Rose Laurens, l'Afrique et... 'Au coeur des ténèbres' bien sûr

J'étais triste d'apprendre lundi la mort de Rose Laurens, ce billet est ma façon de lui rendre hommage. J'ai toujours eu un faible pour son 'Africa', l'énergie un peu mélancolique que ce morceau dégage. ' Je suis amoureuse d'une terre sauvage  Un sorcier vaudou m'a peint le visage  Son gris-gris me suit au son des tam-tams  Parfum de magie sur ma peau blanche de femme. '  Les paroles de cette chanson, ce n'est peut-être pas du Conrad ou du Baudelaire, mais j'aime bien quand même.  Et puis, pour ceux qui, comme moi, avaient une petite dizaine d'années au début des années 80 - au temps des radios FM - c'était difficile d'échapper à ce tube. Dix, vingt, trente radios et, à une certaine époque, sur trois ou quatre fréquences en même temps la chanson de Rose Laurens. ' Je danse pied nus sous un soleil rouge  Les dieux à genoux ont le cœur qui bouge  Le feu de mon corps devient un rebelle  Le cri des gourous a d...

Conrad, Dostoïevski et Lord Jim

' C'était le genre d'homme qui ne sait ni piloter ni épisser, qui renâcle au travail, par les nuits noires, qui dans la mâture, se cramponne frénétiquement des bras et des jambes, jure contre le vent, le grésil et l'obscurité. Celui qui maudit la mer, tandis que les autres travaillent. Celui qui est le dernier dehors et le premier dedans lors du rassemblement, celui qui ne sait pratiquement rien faire et ne veut pas faire le reste. C'est lui le préféré des philanthropes et des marins d'eau douce égocentriques, cet être sympathique et méritant qui sait tout de ses droits, mais ne sait rien en matière de courage, d'endurance, de foi muette, ni de cette loyauté ineffable qui unit à bord les membres de l'équipage, ce produit marginal de l'ignoble licence des taudis plein de dédain et de haine pour l'austère servitude de la mer .' Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (traduction Robert d'Humières), page 24 dans l'édition...

Un bateau sur l'eau, selon Joseph Conrad... Hommage à Robert d'Humières.

Combien d'hommes depuis le début de l'histoire de la navigation n'ont-ils pas regardé s'éloigner un bateau ? Voilà ce que font, de ce spectacle banal, les yeux puissants de Joseph Conrad : ' Le voyage était commencé ; le navire, comme un fragment détaché de la terre, fuyait, frêle planète solitaire et rapide. Alentour, les abîmes du ciel et de la mer joignaient leurs inatteignables frontières. Une vaste solitude ronde se mouvait avec le navire, toujours changeante et toujours pareille en son aspect à jamais monotone et majestueux. De temps en temps, quelque autre voile blanche vagabonde, chargée de vies humaines, apparaissait au loin, puis s’effaçait, tendue vers son propre destin. Le soleil éclairait leur course tout le jour et, chaque matin, rouvrait, brûlant et rond, l’œil inassouvi de son ardeur curieuse. Cette chose flottante avait son avenir à elle ; elle vivait de toutes les vies des êtres qui foulaient ses ponts ; pareille à cette terre qui l’avait en...