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Joseph Conrad, Dostoievski, et l'orchestre du Titanic

J'ai toujours trouvé frappant que Conrad déteste Dostoievski.
Je crois qu'on peut dire qu'il a écrit 'L'agent secret' et 'Sous les yeux de l'Occident' contre Dostoievski.
Non pas sûrement contre l'écrivain Dostoievski, contre sa puissance romanesque, contre son style.
De ce point de vue-là, ils étaient sans nul doute de la même trempe et Conrad ne pouvait que le reconnaître.

Joseph Conrad a écrit contre la figure du révolutionnaire chez Dostoïevski.
Joseph Conrad a écrit contre l'idéologie sous-jacente aux grands romans révolutionnaires de Dostoievski.



Dostoievski croit aux idées qui, par nature, sont destinées à s'appliquer à l'ensemble de l'humanité - pour changer son sort et l'améliorer.
Joseph Conrad croit aux principes, ceux qui guident les vies individuelles. Ceux qui n'imposent rien à l'extérieur du cercle de son propre esprit.
Il y a là une grande différence entre les idées et les principes. Qui forment deux catégories bien distinctes au sein des émanations de l'esprit humain.
L'individu - et lui uniquement - se soumet aux principes qu'il s'est choisi; et les exigences de ses principes ne pèseront jamais que sur lui - a contrario nécessairement de l'impérialisme, du prosélytisme inhérents aux idées qui vous ont conquis, convaincu et que vous voulez naturellement faire prospérer partout autour de vous.

Joseph Conrad seul sur la mer, ou à la table de son bureau.
Joseph Conrad prend la mer, ou la plume, parce qu'il n'aime pas la foule, parce qu'il se méfie de la foule. Celle qui fait les émeutes et les révolutions.
Chez Conrad, l'héroïsme est individuel.
C'est un héroïsme de la constance et de la ténacité.
Un héroïsme du quotidien. Sans fanfare ni trompette.
L'héroïsme du marin qui traverse la tempête.
Son courage tranquille.

André Green écrit à son propos:
Ce n'est pas la prière qui sauvera le bateau, c'est le sang-froid, la lucidité, la compétence, la solidarité entre les hommes, toutes qualités simplement humaines. Conrad n'est pas un marin à qui l'on dit 'Bonne chance'. Sa chance, c'est son bateau, ses hommes,les courants, la maladie et la compétence du capitaine. ce n'est pas Dieu qui sauve, c'est celui qui est maître à bord, et il n'y a personne au dessus de lui. le Ciel est vide et, quand il arrive qu'on le scrute, ce n'est pas pour y rencontrer le regard du Tout-Puissant qui daignerait s'intéresser à nous.'

Trop de Dieu, trop d'idéologie décidément chez Dostoievski.

Joseph Conrad se coltine notre condition humaine - sans jamais se leurrer. Pas de religion, pas d'idéologie, pas de romantisme chez lui.
A propos du naufrage du Titanic, il écrit:
'Moi qui ne suis pas un sentimental, je pense qu'il aurait été préférable de sauver l'orchestre du Titanic plutôt que de le laisser se noyer en jouant de la musique — quel que fût d'ailleurs l'air qu'interprétèrent ces pauvres diables […]. Telle est la vérité. La peu sentimentale vérité, dépouillée des parures romantiques dont la presse n'a cessé d'accoutrer ce désastre.'
(Joseph Conrad, Le Naufrage du Titanic, traduction de Christophe Jaquet, Arléa, 2011, p. 9)

Les musiciens qui jouèrent sur le pont du Titanic


Et puis, Dostoievski avait un défaut - l'ultime défaut aux yeux de Joseph Conrad - il était russe. Il faudra en reparler.

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